Auteur d’un mémoire intitulé « Ludic’pop, les associations ludiques et la démarche d’éducation populaire », Régis Labédan est co-directeur de la Fourmilière, association d’éducation populaire qui œuvre pour le développement culturel en milieu rural. Ses recherches sur le jeu et l’éducation populaire l’ont conduit à collaborer aux travaux du CERJ (Centre d’Études et de Recherche sur le Jeu) et aux activités de la Maison des Jeux de Grenoble.
L’éducation par le semblable est un des principes de l’éducation populaire. Le jeu offre des espaces de création gratuits, nécessitant la collaboration de tous. En cela, il est bien un élément constitutif de l’éducation populaire.
Entretien avec Régis Labédan.
Comment définissez-vous l’éducation populaire ?
Je ne voudrais pas enfermer l’éducation populaire dans une définition unique. Non pas qu’aucun élément d’unité n’existe entre les différents mouvements s’en réclamant mais chacun traduit cette démarche avec sa propre singularité, selon l’époque, le lieu, l’organisation s’en réclamant. L’éducation populaire recouvre les formes d’éducation complémentaires à celle d’institutions telles que la famille, l’école, l’Église. Il y a deux pôles à cette définition, l’un, institutionnel « Jeunesse et Sport » pour lequel l’éducation populaire représente des activités péri ou extra-scolaires, des pratiques culturelles, et l’autre, qui va mettre en avant des activités qui contribuent à l’émancipation de l’être humain, la notion d’apprentissage collectif. Pour ce deuxième aspect, il ne s’agit pas seulement d’accéder à des activités culturelles mais aussi de former des citoyens qui soient capables de comprendre et d’agir sur le monde qui les entoure. Je me rattache davantage à ce second pôle.
En quoi le jeu est d’éducation populaire ?
Pour plusieurs raisons, notamment parce qu’il porte en lui beaucoup d’éléments culturels, la notion de transmission et un aspect « rencontre ». On voit cela très bien avec les jeux traditionnels, reproductibles, que l’on peut véritablement s’approprier et faire évoluer. Le jeu permet également d’acquérir de l’autonomie et cette autonomie fait partie des valeurs de l’éducation populaire. Ma vision, qui est celle défendue par la Maison des jeux de Grenoble, est que le jeu est davantage intéressant lorsque l’on vise, non pas l’acquisition de savoirs comme c’est le cas à travers le « jeu éducatif », mais plutôt le développement de compétences transversales. J’entends par là, apprendre à respecter des règles, apprendre à faire des choix, apprendre à écouter les autres, etc.
Et puis, le jeu est d’éducation populaire pour ce qu’il crée entre les personnes qui y participent. J’emploie l’expression « communauté joueuse », c’est peut-être un peu fort, mais cela montre ce qui se passe entre les personnes quand elles sont ensemble, car ce qui se crée au cours d’un jeu reste au delà du temps défini du jeu, et permet plus de liens, génère plus de compréhension entre les personnes. Le philosophe Colas Duflo, dans son ouvrage Jouer et philosopher (1997), nous met en garde sur la méprise entre jeu et divertissement, constatant que « l’ère du divertissement n’est pas celle du triomphe, mais bien celle de la misère du jeu ». Dans les jeux télévisés, le ressort ludique est très pauvre, on est plutôt (télé)guidé, (télé)animé. A l’inverse, les professionnels et bénévoles des associations de jeu continuent de considérer le jeu comme un moyen d’expérimentation et d’expression de la liberté humaine.
Quelles sont les valeurs de l’éducation populaire que l’on retrouve dans le jeu ?
Il y a, par exemple, le respect de l’autre, en acceptant les règles du jeu, en attendant son tour pour jouer, même si cela peut être amusant aussi de tricher. Il y a aussi toute la question de la transmission. Selon moi, l’éducation populaire incarne la volonté de transmettre et notamment transmettre une culture par des jeux traditionnels, des jeux en bois, tels que la pétanque, la belote… La transmission orale nécessite de savoir expliquer les règles. Les valeurs liées à la libertésont aussi bien présentes. Le jeu est un espace où l’on doit pouvoir faire des choix en toute liberté, être quelqu’un d’autre. C’est un lieu d’expérimentation. C’est également un terrain d’échange, qui crée du lien social, du partage dans la convivialité. On y retrouve aussi l’apprentissage de l’autonomie. En apprenant à faire des choix en fonction des cartes que l’on a en main, comme dans la vie (on ne part pas tous avec les mêmes cartes), on gagne en autonomie.
Quelles sont les potentialités du jeu dans une démarche d’éducation populaire ?
Le jeu peut être un outil pour faire émerger des choses entre les personnes, ouvrir un espace public, ouvrir un lieu où les gens vont se croiser, se rencontrer. Il peut constituer le point de départ pour créer des liens entre des personnes qui vont aller ensemble vers d’autres projets. On peut remarquer actuellement qu’il y a pas mal d’associations de développement d’éducation populaire qui travaillent spécifiquement autour du jeu comme des ludothèques itinérantes. La fonction de la ludothèque n’est pas juste de prêter des jeux, elle contribue à faire vivre un territoire.
Ce que je mets en avant dans mon mémoire « Ludic’pop, les associations ludiques et la démarche d’éducation populaire », c’est que le jeu permet, par rapport au contexte socio-économique, d’avoir des espaces de création improductifs. On est là dans une démarche gratuite, on ne recherche pas de résultat, pas de profit, on cherche la liberté et le plaisir d’être ensemble.
Raimundo Dinello, psychologue et sociologue de l’éducation, qui a travaillé dans des réseaux de ludothèques en Amérique Latine dit qu’
« il est l’heure que cette aventure créative arrive à s’opposer à l’attention donnée par le modernisme aux biens de consommation, à l’objet produit. »
Cela rejoint clairement les enjeux de l’éducation populaire aujourd’hui.
Comment faire pour ne pas être seulement là à proposer de l’activité que l’on va consommer mais arriver à construire, à partager des choses ensemble avec toutes nos différences.
Enfin pour terminer je voudrais citer Jean Bourrieau dans L’éducation populaire réinterrogée qui dit :
« L’apprentissage interculturel a pour but de réduire l’ignorance culturelle causée par le monolinguisme ou des caractéristiques sociales telles que race, religion, famille, sexe… en provoquant des situations de contact et de convivialité. C’est donc un apprentissage actif qui va à l’encontre de la passivité qui résulte de l’isolement ou de la marginalisation. Il doit permettre de renforcer la confiance en soi et d’arriver à une définition de soi qui passe davantage par la coopération que par la compétition. »
Le jeu est d’éducation populaire !
>> Le jeu participe pleinement de la dimension « éducation populaire » de l’ACE. Il véhicule des valeurs telles que la solidarité, l’autonomie, le respect d’autrui.
>> Le jeu est libre et gratuit. Il est improductif au sens où il ne produit rien de marchand mais il produit des liens sociaux, et permet l’émergence de compétences.
>> Le jeu est populaire. Il s’adresse à tous, petits et grands. Son langage est universel, il n’est pas besoin de parler la même langue pour jouer ensemble.
>> Le jeu est l’incarnation d’une culture. Des jeux qui existent depuis toujours se transmettent dans les cours d’école. Les enfants imaginent des variantes, apportent des améliorations.
>> Le jeu est un puissant moteur du développement de la personne et des liens entre culture et génération différentes, rejoignant ainsi la dimension intégratrice de l’éducation populaire.