Jean-Philippe Joly, musicien et écrivain, « expatrié » à Montrouge en région parisienne, responsable commercial au sein d’une grande banque, est président de la Fédération de jeux et sports traditionnels normands.
Sans passéisme, Jean-Philippe Joly remet à l’honneur des jeux d’autrefois. Il permet non seulement aux anciens de renouer avec une partie du patrimoine culturel normand mais aussi aux plus jeunes de découvrir des jeux parfois oubliés ou délaissés.
Vous êtes président de la Fédération des jeux traditionnels normands. Pourquoi avoir choisi de les faire revivre ?
A cela plusieurs raisons. Ayant pratiqué une partie de ceux-ci étant enfant avec grand intérêt, je ne vois pas pourquoi je les remiserais au grenier. D’autant plus que cela intéresse pas mal de monde. En outre il s’agit de sauvegarder un patrimoine « immatériel » composante de notre socio-histoire tout aussi important que les vieilles pierres ou les vieux grimoires ! Passionné d’archéologie et d’histoire sociale c’est naturellement que j’ai souhaité faire partager des connaissances au public de tous âges.
Le tout doit s’inscrire dans un cadre convivial et inter-générationnel. Le jeu est propice à l’échange entre les générations, les peuples, etc. Il ne faut pas s’en priver. Il est important pour les anciens de montrer que le passé n’était pas « débile » et pour les jeunes que ce qu’ils feront est la continuité de ce qui fût afin de leur conserver un minimum de repère tout en leur laissant la possibilité de faire évoluer les jeux traditionnels mais surtout pas de les mettre au grenier avant le plus souvent de les brûler. La citation qui dit que « le progrès est une tradition qui a réussi » me semble juste dans certains cas !
En ce qui concerne ma région, la Normandie, la proximité de Paris et le désintérêt des élus très souvent, mettait en danger la sauvegarde de ce qui existait encore et la disparition totale de ce qui fût pourtant parfois une véritable passion pour nos ancêtres (je pense au jeu de choule notamment). Or je possédais pas mal de documents, une bonne expérience du jeu et de son organisation ainsi que celle du sport à un assez haut niveau. Enfin l’arrivée d’Internet m’a permis de chercher et trouver très vite les éléments manquants ainsi que les bonnes volontés.
Ces jeux étaient-ils vraiment oubliés ?
Certains oui, totalement depuis les années 1960 environ, d’autres restaient dans la mémoire issue des livres ou des dires de parents… ou même l’inconscient. D’autres étaient joués mais cachés (c’est toujours le cas d’ailleurs quand il y a de l’argent en jeu). Il y en a certains, oubliés depuis plus longtemps, que nous avons réhabilités ou que nous allons remettre en circulation.
Quand on parle de jeux traditionnels de quoi s’agit-il ?
On pourrait donner une bonne dizaine de définitions. Les jeux traditionnels se définissent par le fait qu’ils se transmettent normalement d’une génération à une autre (mais ce pourrait être le cas du Monopoly ou de la belote), qu’ils sont souvent attachés culturellement à une région parfois très petite (Quilles de Ponthieu en Picardie, la doque à Jersey) ou au contraire partagés par plusieurs avec des différences assez peu marquées (palet gallo et vendéen, palet glissé sur planche en Normandie et jeu des assiettes en Picardie), la balle au tamis (Nord, Picardie et nord de la Normandie) qui est proche du jeu de tambourin du Languedoc. Surtout c’est un jeu qui ne doit rien au marketing mais qui souvent était lié à l’argent, à une croyance ou une coutume (fête paroissiale, mariage…).
Souvent, ces jeux étaient joués dans des circonstances très particulières le plus souvent, après la messe, à la pause du travail, à la foire, uniquement les jours de repos, lors de « vendues » (faillites de fermes en Normandie), voire un seul jour par an (Ascension) !
A partir de la fin du XIXe siècle, ceux qui n’ont pas été éliminés par l’arrivée du sport se muent souvent en compétitions locales pour survivre. Dans le jeu ou le sport traditionnel, c’est donc la convivialité et la sociabilité qui l’emportent sur l’esprit de compétition. Même si le plaisir de gagner est très présent il est fortement relativisé. La fête qui est liée et parfois les débordements sont aussi importants que le jeu lui-même. Il s’agit d’un repère dans l’année, d’une attente forte de toute une région parfois, tout le contraire d’une multiplication de rencontres sportives pour amasser du spectateur payant et des recettes publicitaires. Certes il y a une gloire et une fierté à ramener la choule au village par exemple à Jumièges en Seine-Maritime ou à Saint-Pierre-d’Entremont dans l’Orne ; mais l’aura ne dépassant la limite de deux ou trois clochers, elle est toute relative !
Quelle est la spécificité régionale de ces jeux ?
Ce qui peut faire la spécificité c’est la constance de l’emploi des jeux dans chaque région malgré son exportation ailleurs. On peut dire qu’un jeu pratiqué régulièrement même si son origine n’est pas du lieu même, devient aussi un jeu régional.
Les jeux traditionnels comme la musique ou la chanson sont colportés, modifiés avec le temps, délaissés éventuellement repris. Cependant on peut trouver des jeux qui appartiennent à des grandes familles (quille, boules, palet, lancers…) mais dont la variante locale est très spécifique. Peut-être que contrairement à la chanson, la substance est moins universelle et la structure physique moins légère à transporter. Mais aussi parce que le jeu peut correspondre à une mentalité endémique, à un moment donné, non socialement transportable.
Quelles sont les réactions des gens lorsqu’ils découvrent ces jeux ?
Depuis 2001 c’est un très grand intérêt que nous rencontrons de tous bords au niveau des spectateurs ou des participants, nous n’avons eu qu’une remarque hostile ! Les plus anciens ont parfois un peu, ou même beaucoup, honte d’avoir laissé tomber ceux-ci et de voir des jeunes les sauver. Les jeunes sont toujours très enthousiastes mais il faut dire que nous prenons soin de ne pas faire de passéisme et de parfaitement coller à leur univers en faisant évoluer les règles (notamment pour la choule à la crosse) ou le discours et ne mettant pas en avant le « bon vieux temps ». Par contre nous sommes très déçus par le manque d’intérêt de beaucoup d’élus !
Vous faites jouer les gens. Qu’est-ce que cela permet ?
Les gens découvrent des sensations perdues, des racines, une certaine fierté mais mesurée, un matériel à transmettre et échanger avec d’autres. Ils se déchargent souvent d’une carapace pesante accumulée chaque jour. Nous privilégions la bonne humeur, la convivialité et la pédagogie amusante. Nous transmettons, je pense aussi, une conception dynamique de la tradition qui rend celle-ci moins pesante et directement assimilable. Nous leur faisons comprendre que le jeu est sérieux au départ, comme leur vie d’adulte, mais lorsqu’on joue, il est important de se libérer, de prendre confiance en soi et que l’échec n’est que momentané. Si on recommence une partie on peut alors gagner, et la vie c’est souvent pareil si on est aidé bien sûr.
Souvent, nous faisons jouer des handicapés mentaux ou des enfants défavorisés ou en échec scolaire ou même en souffrance familiale et nous avons la grande joie de voir que certains en très peu de temps reprennent confiance en eux ou se découvrent des dons cachés. Nous intervenons d’ailleurs assez souvent dans les écoles.
Article extrait du Livret Jouer, c’est vivre publié en 2013 par l’ACE.