Les lecteurs de Vitamine connaissent bien la BD Terry & Téo. Mais peut-être connaissent-ils moins son auteur, Winoc . Ce dessinateur de BD a découvert sa passion alors qu’il était adolescent et en a fait son métier. Entretien avec un dessinateur de talent qui dessine fidèlement les BD du journal Vitamine depuis vingt ans.
Aviez-vous déjà, enfant, une âme de dessinateur ? A quel moment avez-vous envisagé de devenir dessinateur de BD professionnel ?
Winoc : « J’ai toujours aimé raconter des histoires. Petit, j’imaginais des contes le soir pour mes deux sœurs cadettes. Le dessin était alors juste un passe-temps, comme pour beaucoup d’enfants. Un jour, au caté – j’étais au collège et j’avais l’âge de Terry et Téo ! -, on nous a demandé de raconter une anecdote en BD. Ça a été le déclic. J’en ai fait beaucoup après au lycée, pour mon propre plaisir et toujours avec l’envie de raconter des histoires, jusqu’à ce je me dise que je voulais en faire mon métier, l’année du bac. »
Est-ce que Winoc est votre nom de dessinateur ?
Winoc : « Winoc, c’est mon vrai prénom ! Je n’ai croisé qu’une personne qui s’appelait comme moi. C’est le prénom d’un saint breton qui est venu évangéliser le Nord de la France, et qui a donné son nom à l’abbaye de Bergues (59). »
De quelle façon croyez-vous que se manifeste votre touche personnelle, qui distingue vos planches de celles d’autres dessinateurs ?
Winoc : « Chaque auteur a ses qualités et ses défauts qui le caractérisent. Ma force réside dans la narration, c’est à dire dans les choix de cadrages, de mise en scène et de mise en page de l’action et du dialogue – logique quand on sait que c’est l’histoire qui me porte ! -. C’est quelque chose qui n’est pas toujours immédiatement visible pour le lecteur, mais qui fait que la lecture est très fluide et que les images restent en mémoire lorsque l’on a fermé le livre. C’est aussi cette force qu’ont apprécié les scénaristes avec qui j’ai travaillé, parce qu’elle a permis d’enrichir leur propre histoire. »
Avez-vous le sentiment de vous réaliser dans votre métier ?
Winoc : « C’est un métier varié, qui demande des compétences différentes selon les étapes de travail. Avec l’expérience, je gagne du temps sur certaines étapes, ce qui me permet d’en passer davantage sur d’autres et de continuer à progresser.
C’est aussi un métier qui permet de changer régulièrement de thème de travail. J’ai fait des histoires policières, de l’aventure, des biographies, une enquête artistique, du tango… et je travaille en ce moment sur l’adaptation du roman « Les déracinés » de Catherine Bardon. C’est l’histoire d’un jeune couple juif autrichien qui va subir la montée de l’antisémitisme des années 1935-1939, va quitter l’Autriche devenue nazie et se retrouver en république dominicaine pour participer à la création d’un kibboutz. Je travaille avec l’auteure elle-même, ce qui est très riche et très intéressant. Nous avons construit le scénario ensemble. L’album devrait paraître en début d’année prochaine. Et c’est un métier qui, même s’il est souvent solitaire, permet de rencontrer des gens de tous horizons. Donc oui, c’est un métier dans lequel j’ai le sentiment de me réaliser ! »
Quel dessinateur êtes-vous ? Qui sont vos partenaires ?
Winoc : « Je fais un dessin plutôt réaliste, c’est-à-dire que mon dessin n’est pas de type humoristique. J’ai eu la chance de pouvoir faire de la BD tout de suite après ma formation à l’Institut Saint-Luc à Bruxelles. Dans les premiers temps, je dessinais des histoires policières régionales qui m’ont permis de mûrir mon dessin. J’ai ensuite travaillé pour un éditeur national, les éditions Bamboo et j’ai fait 15 albums chez eux.
En autoédition, j’ai fait deux BD biographiques : une sur Auguste Mariette, égyptologue, et l’autre sur Isabelle Godin, aventurière malgré elle du 18e siècle. Le hasard a fait que j’ai mis en BD une autre histoire vraie, celle de quelqu’un toujours en vie, à qui il est arrivé une histoire particulière. Il a découvert un tableau, en pensant que c’était une toile de maître même si elle n’était pas signée. J’ai un dessin qui prête plutôt à ce genre de récit. »
Depuis combien de temps dessinez-vous des planches de BD pour l’ACE ?
Winoc : « Cela fait 20 ans que je réalise de planches de bande dessinée pour l’ACE ! Le premier Terry & Téo est paru dans le 116 de septembre-octobre 2000. Ma première vraie facture d’illustrateur, c’était celle-ci ! Je venais tout juste de démarrer mon activité. Je connaissais une bénévole de l’ACE qui m’a dit que l’ACE cherchait un dessinateur de BD.
J’ai répondu à l’appel à projet. Il fallait faire une page de BD sur le thème de l’année qui était à l’époque « Mets du pep’s autour de toi ». La BD allait s’adresser à des collégiens et il fallait donc prendre deux collégiens comme personnage. C’est une fois que j’ai été retenu que l’on a trouvé des prénoms aux deux personnages principaux. Terry et Téo sont les prénoms de deux frères qui sont les enfants d’un cousin de mon épouse, et qui ont 25 et 29 ans aujourd’hui ! Le personnage Emilie est arrivé dans la foulée (dans mon esprit, c’est elle qui est assise à gauche de Téo dans le bus de la toute première histoire), Camille est arrivée à la rentrée 2009, en fauteuil roulant, la thématique de l’année étant le handicap. Yannis à la rentrée 2016, avec une thématique sur l’immigration et le multiculturalisme. Les thématiques abordées sont intéressantes, mais pas toujours évidentes, d’autant qu’il faut mettre un peu d’humour dans des sujets importants comme le handicap ou l’immigration.
Terry & Téo s’est adapté aux changements de formule et aux remaniements du journal. Actuellement, c’est une double-page tous les trimestres. J’ai aussi connu une page dans des parutions mensuelles de Vitamine. Le format double page me permet aujourd’hui de développer une petite situation de manière efficace. Il y a toujours beaucoup d’échanges avec Marie-Julie, rédactrice en chef de la revue, comme avec ses prédécesseurs. Les premières années, je créais le scénario et maintenant c’est l’ACE qui me propose un scénario. Aujourd’hui, je suis père de grands adolescents dont le dernier a atteint l’âge de Terry & Téo ! Cela m’aide à imaginer la vie de mes personnages. Il faut aimer ses personnages pour avoir plaisir à les mettre dans des situations ! »
Y a-t-il un personnage dans Terry & Téo que vous appréciez plus particulièrement ? Si oui Pourquoi ?
Winoc : « Les personnages forment un ensemble. Terry, qui est le gaffeur de la bande, ne pourrait pas sortir des âneries si les autres n’étaient pas là pour les provoquer. Il habite dans une maison alors que Téo vit en HLM, ce qui me permet de mélanger les points de vue. Emilie apporte la touche féminine, voire féministe ; Camille est fort engagée sur les thèmes environnementaux, etc. Comme dans tout groupe, c’est l’alchimie entre chacun qui fait fonctionner l’ensemble. Je n’ai donc pas de personnage favori.
Mais historiquement, Terry et Téo sont les personnages clefs de la bande. Ils sont les seuls à avoir parfois porté une histoire en solo, sans aucun autre personnage de la bande. »
De combien de temps avez-vous besoin pour faire une planche, comment creusez-vous vos idées à partir du scénario ?
Winoc : « L’élément clef est le gag ou la chute que je vais pouvoir placer en fin d’histoire. Parfois il arrive vite, parfois je dois y réfléchir plusieurs jours avant de trouver une bonne solution. Ensuite, je dessine un story-board (un brouillon) de l’histoire, que je soumets à Marie-Julie. Elle peut ainsi me dire si je suis bien dans l’esprit de son scénario et dans l’esprit ACE. L’étape du story-board me prend une demi-journée environ. Lorsque j’ai le retour de Marie-Julie, je passe à l’étape du dessin (une journée), puis de l’encrage (une grosse demi-journée). Enfin vient la couleur et la finalisation des pages (une nouvelle demi-journée). »
Quels
outils de dessin utilisez-vous ?
Winoc : « Aujourd’hui, le story-board est réalisé sur ordinateur, à la tablette graphique. Je l’imprime et il me sert de base pour mon dessin, qui est fait à la main sur papier. Je scanne mes dessins et je les retouche avant de les imprimer sur un papier lisse pour l’encrage. Je scanne mes pages encrées et les mets en couleur par ordinateur. Ça n’a pas toujours été comme ça, j’ai longtemps fait mes couleurs à l’aquarelle. »
Quels conseils donneriez-vous à des enfants et des jeunes qui aimeraient se lancer dans la BD ?
Winoc : « Il faut être passionné car c’est une chose de faire un dessin pour le plaisir, c’en est une autre de devoir en faire tous les jours ! Il faut oser montrer son travail à des professionnels pour recevoir avis et critiques. Enfin, il faut écouter les critiques et avoir le courage de recommencer un dessin. C’est à ce prix que l’on progresse. »
◀︎ Le site BD est www.bdwinoc.fr/ tout simplement, une partie plus illustrative renvoie vers le lien « book »
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