Des millions de malades, des milliers de morts, partout sur la planète… Les chiffres du Coronavirus, en constante progression, donnent le tournis. Les enfants les entendent, comme les adultes. Certains sont même directement concernés et doivent faire face, le plus souvent à distance, à la maladie ou à la mort d’un ami, d’un proche, d’une mamie ou d’un voisin. Alors comment aborder la question avec eux et leur permettre de surmonter la maladie et le deuil dans ce contexte ? Dominique Mazin-Prieur reste optimiste.
La mort est enfin présente dans le débat. Ce n’est pas forcément une mauvaise chose ! Jusqu’ici elle était toujours occultée alors même que les anciens mouraient déjà, moins nombreux certes mais tous les jours, dans les EPHAD. C’est l’occasion de dédramatiser la mort en tant que telle pour la ramener à ce qu’elle est : un moment de la vie ! Dans notre situation, ce qui est le plus anxiogène, c’est la quantité. Mais dans le même temps, c’est aussi cette quantité qui va être de nature à rassurer l’enfant. L’adulte peut lui dire « nous ne sommes pas tout seuls à souffrir ou à être inquiets, nous sommes même si nombreux qu’on en parle à la télévision ! ».
Avant d’en arriver à cette étape, il est essentiel d’anticiper autant que possible en créant une proximité avec les proches malades. L’enfant sent très bien quand ses parents sont soucieux, inutile de lui cacher les choses. S’il ne manifeste pas toujours de chagrin, c’est parce qu’il ne ressent pas la douleur de l’adulte et ne la comprend donc pas. Car lui ne peut pas anticiper la douleur et le manque liés au décès. Tous les moyens sont bons pour rester en lien pendant la maladie d’un proche et se préparer à une éventuelle séparation : appels téléphoniques, appels visio, envoi de lettres et de dessins, etc.
Si par malheur donc la mort s’invite dans le cercle familial, il est indispensable de permettre à l’enfant de faire son deuil au moment du décès, comme il aurait dû le faire dans un autre contexte. Les solutions pour pallier à la distanciation sont nombreuses et ajustées aux petits comme aux grands. Il va falloir inventer des rituels, proportionnels à l’attachement que l’on avait pour le défunt, et reproduire tous les temps du deuil classique sur un mode symbolique, ce qui permettra de les adapter au mieux à l’enfant. Je perçois quatre supports fondamentaux pour surmonter le deuil.
Parler d’abord. Non pas de la mort et de ses circonstances plus ou moins tragiques mais du vivant, de sa vie et de son histoire commune avec chacun des membres de la famille. On peut écrire ensemble un livre d’or fait d’anecdotes, de souvenirs, de photos et de dessins qui permettront de nourrir les échanges pendant cette période et au-delà. Certaines entreprises de pompes funèbres proposent d’assister via les réseaux sociaux aux obsèques du proche ou, à défaut, peuvent prendre des photos et les transmettre directement après la cérémonie. La famille peut ainsi participer à distance ou reproduire à domicile un temps de communion avec le défunt proche de ce que serait celui des obsèques. Ne pas hésiter à le demander, c’est important pour les enfants
Visualiser au maximum. Il ne faut pas hésiter à demander au personnel soignant de prendre des photos du proche, avant et après son décès, ou de son environnement, même médicalisé. Pour dédramatiser la situation, lui donner une forme, une réalité dans l’esprit de l’enfant. Nous sommes dans un monde de visuels, il ne faut pas nous en priver. Ce n’est jamais un traumatisme pour l’enfant de voir un mort, il n’y a que la réaction de l’adulte qui peut le traumatiser.
Trouver des gestes symboliques. Il sera très porteur de permettre aux enfants comme aux ados (qui ne savent pas toujours quoi faire de leur corps !) de poser des gestes à la maison ou devant l’hôpital : déposer des fleurs, se mettre en position de prière, choisir une lecture qui fait sens pour eux… Qu’ils puissent participer activement. On peut aussi prévoir un espace dans la maison, un petit autel en la mémoire du disparu avec une photo ou des objets qui évoquent le défunt. Ce lieu sera propice pour tout ce qu’on a à lui dire, surtout au revoir, parce qu’il n’est pas question d’attendre la fin du confinement pour le faire.
Visiter enfin, ou promettre de le faire dès que cela sera possible, le cimetière, pas pour dire aurevoir – ce serait trop tard – mais pour voir où repose le défunt, sans oublier encore une fois de faire participer l’enfant. Les visites ultérieures pourront aussi être importantes à certaines périodes de la vie de l’enfant par la suite.
Quoi qu’il arrive, il ne faut pas négliger l’importance de bien gérer le deuil, pour anticiper les suivants qui ne manqueront pas ou pour réparer des deuils passés mal traversés. Le deuil peut être un moyen de se renforcer. Parce qu’une fois encore, ne l’oublions pas : le deuil n’est pas une épreuve mais un moment de la vie !
Psychologue et psychanalyste de formation, Dominique Mazin-Prieur a consacré toute sa carrière aux enfants. Elle a exercé plusieurs années dans divers établissements spécialisés auprès d’enfants porteurs de handicaps, et 30 ans au sein du service pédiatrique d’un hôpital auprès d’enfants de tous âges : du prématuré au jeune de 18 ans.
Actuellement à la retraite, elle continue cependant à accompagner des enfants et des familles dans son cabinet de Veneux-les-Sablons.