Jean-Yves Baziou : comprendre la portée éducative du tourisme avec les enfants

Les vacances, que l’on parte à l’autre bout de la France ou que l’on reste chez soi, c’est aussi l’occasion de faire du tourisme pour beaucoup de familles. Le théologien Jean-Yves Baziou nous parle de la fécondité de ces opportunités de découvertes, de partage et d’aventures !

Une des évolutions récentes qui ont transformé nos vies est le développement des temps libres[1]. Ils ont ouvert de nouveaux espaces d’activités, dont ceux des loisirs et du tourisme. L’Église catholique s’est organisée en conséquence pour accompagner cette évolution par une pastorale du tourisme. Il y a là, pour l’ACE, une source possible d’interrogations et de préoccupations concernant la portée éducative du tourisme.

Le tourisme : une activité humaine en développement

portée éducative du tourisme pour les enfants

À ses débuts, le tourisme ne concernait qu’une petite frange, aisée et oisive, en grande partie aristocratique, de la population. Mais depuis les lois sociales organisant le temps de travail, il est peu à peu devenu une réalité massive. Sports, espaces et pratiques de loisirs, paysages naturels, découvertes des cultures locales et du patrimoine, mais aussi rencontres amicales, vie familiale et voyages exercent un attrait important, en particulier dans les temps de vacances. Leur développement appelle des besoins toujours plus importants en matière d’équipements et de personnels. Malgré les guerres, les crises économiques, ou les aléas climatiques et épidémiques, le tourisme n’a pas cessé de s’étendre dans le monde. Il offre en effet de nombreux atouts, par exemple quand il est un rempart contre la pauvreté grâce à la création d’emplois et de ressources. Il peut aussi pousser à la mise en valeur de sites naturels ou historiques, à la création d’équipements bénéficiant aux populations autochtones. Les enjeux géostratégiques ne sont pas minces non plus : le tourisme peut être un moyen de donner une image positive d’un pays. Plus largement, et telle est la position du Saint-Siège, il représente un facteur favorable à la rencontre pacifique des peuples et des individus : « le tourisme humanise car il procure… des opportunités de connaissance réciproque entre les peuples et les cultures ; il favorise la paix et le dialogue »[2]. Cependant la massification du tourisme a aussi ses revers. On pourrait évoquer bien des dérives comme les fortes pressions exercées sur les espaces naturels et les cultures locales, le pillage des patrimoines, les problèmes de sécurité, les comportements inciviques des vacanciers, le tourisme sexuel. Ces dérives appellent une réflexion éthique sur la responsabilité des touristes.

Une pastorale du tourisme aux multiples facettes

La mise en place d’une pastorale du tourisme a accompagné l’attention croissante que l’Église porte au monde du tourisme : elle y offre sa présence et tient ses propres services et ressources à la disposition des différents acteurs de ce domaine. Il est difficile de résumer les différentes facettes d’une telle pastorale tant elle doit tenir compte de la diversité des populations et des problèmes rencontrés. Un de ses premiers objectifs est de susciter les conditions qui aident les chrétiens à vivre leur foi et leur témoignage missionnaire dans le temps qu’ils consacrent au tourisme. Elle encourage aussi à vivre ce moment comme un moment de grâce et de salut, par exemple en valorisant des attitudes de contemplation, de repos, de retour sur soi, d’attention aux personnes, d’intérêt pour la découverte des autres cultures. Elle sensibilise les Églises locales à l’accueil des touristes dans leurs assemblées, et aussi à la préparation au voyage. Car il reste à travailler sur un art du voyage, tant il est un moment opportun pour s’ouvrir aux autres et à leur différence, de façon à faire advenir une culture du respect. L’Église a un savoir-faire en ce domaine puisqu’elle se constitue de membres venus de toutes nations : elle peut donc être un carrefour au service de la rencontre et de la réconciliation universelles. C’est dans cette perspective que le « Directoire pour la pastorale du tourisme » conseille de ne pas voir les touristes comme étrangers au Peuple de Dieu, mais au contraire comme y étant reliés, quelles que soient leur nationalité, leur religion, leur âge ou leur condition[3].

portée éducative du tourisme pour les enfants
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Mais le tourisme ne se réduit pas aux touristes. Bien d’autres acteurs sont concernés. Une pastorale du tourisme offre une opportunité pour des organisations chrétiennes de tisser des partenariats, par exemple avec des organismes publics : municipalités, offices du tourisme, comités départementaux du tourisme, Conseil régional, associations comme celles qui œuvrent à la sauvegarde du patrimoine ou qui s’intéressent à l’histoire locale. Il faut y ajouter les professionnels du tourisme, les employés, les saisonniers. Une pastorale du tourisme garde encore un rôle de vigilance critique et ne perd pas de vue les personnes qui vivent d’emplois précaires, de conditions de travail difficiles, ou dont les droits parfois sont bafoués. Elle encourage aussi à développer un tourisme social, c’est-à-dire ouvert aux populations qui ne peuvent pas encore bénéficier de temps libre, ou qui n’ont pas les moyens permettant de faire du tourisme et de le mettre à profit pour leur développement personnel[4].

En effet la préoccupation pastorale est que la visée ultime du temps libre et du tourisme reste la réalisation et l’épanouissement de la personne. Cela peut passer par la découverte de la nature, la connaissance du patrimoine esthétique et religieux, par le développement de relations humaines, ou par un déploiement de la vie spirituelle. Le rapport pastoral au tourisme est habité par la conviction que le temps du tourisme peut être un moment favorable pour la reconnaissance de Dieu et l’exercice de la sollicitude envers autrui. Il peut ouvrir à une action de grâces pour le don de la Création, pour la liberté, pour la joie d’être. Ce sont donc des essentiels de la foi chrétienne et de nos humanités qui peuvent être redécouverts et approfondis à l’occasion de ces moments de plus grande disponibilité que représentent les temps libérés pour les loisirs et le tourisme.

Redécouvrir l’atout éducatif du tourisme

portée éducative du tourisme pour les enfants

Comme toute pastorale, celle du tourisme n’est pas réservée à un réseau de spécialistes ou de virtuoses. Elle est et sera l’œuvre de ceux et celles qui y voient un moyen de servir l’humanisation de notre monde à travers un art de vivre le temps libre. Il est un point sur lequel un mouvement comme l’ACE, et plus largement les enfants et les jeunes générations peuvent la faire progresser : c’est de considérer le tourisme comme offrant des opportunités éducatives. Curieusement, c’est une dimension qui a été assez peu explorée, sauf parfois bien sûr par des associations ayant des perspectives d’éducation populaire[5]. Le temps des loisirs, des vacances, les voyages, est en effet favorable à divers apprentissages. Cela peut concerner la découverte et la conquête d’espaces nouveaux ou rares, de rythmes de vie différents, de visites de sites où l’on apprend à écouter et à observer, des styles d’alimentations et de goûts inconnus, des activités inédites.
Un autre domaine d’apprentissages est celui de l’art de la relation et de la conversation : retrouver la patience de connaître l’autre, de parler ensemble, de se rendre compte de l’histoire où s’enracinent les vies, de comprendre des coutumes et des comportements.
Le temps du tourisme est aussi favorable pour développer une culture de l’émerveillement et de la contemplation : on peut découvrir avec étonnement, « pour de vrai », des activités humaines par exemple des pratiques d’artisanat, d’agriculture, de transformation de productions d’élevage. Ce qui n’était connu jusque-là qu’à travers des écrans de télévision, de tablettes ou d’ordinateurs, se dévoile dans sa réalité concrète et dans son authenticité. L’émerveillement pourrait se conjuguer avec une sensibilisation à la responsabilité envers l’environnement : attention à la flore, à la faune, certes mais aussi à ses propres comportements dans la forêt, sur la plage, ou à l’occasion d’une promenade sur des sentiers de campagne. C’est dans la mesure où chacun exerce ses responsabilités envers la nature que celle-ci sera belle à contempler. Le temps touristique est ainsi l’occasion d’une véritable immersion dans le monde : il fait apprendre le monde grâce à une « connaissance par contact »[6].

On pourrait encore évoquer l’espace-temps touristique comme étant favorable à l’apprentissage spirituel. Ce peut être une occasion de parler de sa vie avec d’autres pour y discerner toute sa richesse et sa beauté, sa dureté aussi peut-être. Car l’intelligence de soi advient dans le dialogue et l’interaction. Le sens de la vie grandit dans l’acte de parler ensemble de ce qui nous arrive. Et puis, on le sait : durant le temps des vacances, c’est par milliers que des personnes, des familles, des groupes d’excursion entrent dans des sites religieux. Ils entrent alors dans le temps long des traditions religieuses qui offrent des références vives à des transcendances : transcendance de Dieu, du divin, des valeurs, de textes tenus pour sacrés, de convictions ultimes, ou de modèles moteurs. Plus globalement encore, c’est l’ouverture à l’art sous ses différentes formes que permet la disponibilité quand on est en vacances. Le temps peut y être vécu sur le mode de la plénitude et du ravissement. Sur ce versant-là, nombreux sont ceux et celles qui se réconcilient avec la joie.
Au fond, et c’est une des expériences fortes qui peut être faite dans le tourisme, nous ne cessons jamais d’apprendre notre humanité.

[1] Jean Viard (dir), La France des temps libres et des vacances, La Tour d’Aigues, L’Aube, 2002
[2] Message pontifical pour la journée mondiale de la pastorale du tourisme, 2016
[3] Directoire pour la pastorale du tourisme, Rome, 1969, § 28
[4]Commission pontificale des Migrants, Orientations pour la Pastorale du Tourisme, 2001
[5]Gilles Brougère, « Pratiques touristiques et apprentissages », Mondes du Tourisme, 5/2012, p. 62-75
[6] ibidem

Jean-Yves Baziou est docteur en théologie et en histoire et anthropologie des religions. Entre autre responsabilités successives, il a été aumônier du MRJC et de l’ACE, mais aussi Secrétaire national des Aumôneries de l’Enseignement Public, chargé de Formation dans son diocèse de Quimper et enseignant à la Faculté de Théologie d’Angers et à la Faculté de Théologie de Lille dont il a été le doyen. Il est l’auteur d’Une parole chrétienne dans l’événement (2010) et Les fondements de l’autorité (2005) aux éditions de l’Atelier.

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