Sait-on encore débattre aujourd’hui ? | Partie 2/3

Sait-on encore débattre aujourd’hui ? C’est la question que se sont posée les mouvements d’Action catholique réunis à Paris pour une journée de formation nationale. En trois étapes progressives, les participants ont pu, soutenus par les apports particulièrement stimulants du théologien Jean-Yves Baziou, changer de regard sur les conditions mais aussi les tenants et aboutissants du dialogue au sein de leurs mouvements, de l’Église et de la société.

Aujourd’hui, Jean-Yves Baziou nous parle de l’art de la conversation de l’Église…

Retrouvez le chapitre 1 de cet article en 3 partie par ici.

Et l’Église se fait conversation

En 1964, dans un texte qui a fait date (Ecclesiam suam), le pape Paul VI définit l’Église comme conversation :

 L’Église se fait parole, l’Église se fait message, l’Église se fait conversation.

Cette perspective a pour arrière-fond l’expérience des échanges qui avaient eu lieu entre évêques, experts, laïcs, religieux et observateurs lors du concile Vatican IL. Toujours en arrière-fond, il y avait la recherche d’un positionnement de l’Église catholique dans les sociétés en termes d’échanges mutuels : l’Église se situe d’une part comme recevant des « richesses » spirituelles, matérielles, culturelles des sociétés où elle est présente, d’autre part comme offrant ses ressources propres au service de l’humain et à la construction de ces mêmes sociétés (Gaudium et spes § 40-44). Elle ne se situe ni contre la société, ni comme souhaitant la régir, mais embarquée dans la même histoire que tous. Elle ne renonce pas non plus à avoir un rôle social, mais ce rôle a la forme du service.

Située dans une société donnée, l’Église n’est donc pas un groupe à part, et qui aurait une forme figée. Elle peut être comprise étant en train de se faire, de se défaire, de se refaire aussi. La figure de l’Eglise n’est jamais définitive. Car elle évolue en fonction des changements du contexte. Chez nous, le contexte démocratique introduit dans l’Église une exigence de discussion avec ce que cela suppose comme information réciproque, exercice de la critique et association à la décision. Elle introduit aussi l’attente d’une reconnaissance de chacun à égalité de droit quel que soit son statut, son rôle ou sa place : elle produit le refus d’une organisation trop verticale. Elle encourage encore le développement d’une sphère d’initiatives singulières, un rapport dynamique entre tradition et inventivité, et l’intégration du conflit ou du désaccord comme structurant l’assemblée ecclésiale. L’intrication de l’Eglise et d’une société travaillée par une tradition de débat ne cesse  d’engendrer une figure renouvelée d’Eglise.

L’autre facteur de l’évolution de l’Église ce sont les baptisés. Ils sont les auteurs de leur Église par leurs pratiques, leurs initiatives, leur créativité, leur prise de parole. Le mot qui dans la tradition chrétienne correspond à celui de démocratie est la synodalité : il désigne le pouvoir de tous les baptisés. Il vient du grec : sun = avec ; odos= le chemin. Il s’agit de faire route les uns avec les autres, et pas seulement ensemble. Le mot intégre le pluriel du peuple, le pluriel des charismes et des intelligences. Faire œuvre de synode, c’est vivre une culture pluraliste où l’unité se construit dans l’articulation des singularités. L’Église est polyphonique. Dès son émergence, saint Paul utilise l’image du corps articulé pour rendre compte de la place nécessaire de chacun et chacune dans sa construction. Dès le début aussi, l’une des manières de résoudre les problèmes et les conflits est de se réunir en concile, ou en synode, pour s’expliquer et trouver une solution (Cf réunion à Jérusalem, dans le livre des Actes des apôtres). Cette façon de faire a trouvé son expression juridique dans un point de droit médiéval : « tout ce qui concerne tout le monde dans l’Église doit être discuté et approuvé par tous »…

Il y a là une perspective de travail possible pour redonner du dynamisme aux différentes organisations chrétiennes : travailler sur un art de la communication entre nous. Mettre en relation les différents groupes, rôles, instances, personnes. Etablir davantage de transparence dans les processus de décision et de désignation des responsables, quel que soit leur état de vie. L’enjeu est de ne  pas laisser réduire l’Eglise à un club. Nous avons tellement la tentation de dissoudre la diversité dans l’unification autour de d’une fonction, d’une orientation, d’une personne. Or personne, que je sache, n’a le monopole de l’Esprit-Saint qui, si j’en crois les Actes des Apôtres, a été « répandu sur toute chair ».

L’attitude de dialogue ne vaut pas qu’à l’interne de l’Église. Elle peut caractériser un mode de relation à la société, aux autres religions, aux autres spiritualités et traditions culturelles. La pensée catholique a beaucoup évolué à ce propos, et ce, dans la ligne de la réception du dernier concile. Après avoir pensé le dialogue comme une stratégie pour « évangéliser », on le voit désormais comme une manière de vivre l’Évangile de Jésus. Un des charismes de Jésus fut en effet sa capacité de rencontrer les gens sans discrimination, sans exclusion ni élitisme. Dans cette ligne, annoncer son Évangile suppose de rencontrer les autres en les respectant et en ayant une attitude de justesse à leur égard. Peu à peu cinq terrains de dialogues se sont avérés possibles : dialogue de la vie quotidienne afin de créer un cadre de coexistence agréable ; dialogue dans l’action solidaire et humanitaire afin de servir la construction des personnes et des sociétés ; dialogue théologique afin de nous informer mutuellement sur nos convictions ultimes et nos croyances ; dialogue sur nos expériences et pratiques spirituelles ; dialogue enfin entre cultures ou civilisations afin de mieux connaître nos visions du monde et nos manières d’habiter la Terre.

Un tel art de la conversation permet de progresser vers des partenariats susceptibles d’aider à faire du Commun, capables aussi d’enrichir la collectivité de savoirs, de savoir-faire, de vérités et de convictions ultimes différents. La pluralité peut renforcer le vivre-ensemble. Par aileurs, le dialogue permet de disjoindre la religion de la violence : son enjeu est le paix entre les peuples. Le christianisme se présente alors comme au service d’une reconnaissance réciproque. Il reste encore à passer du seul dialogue inter-religieux à un dialogue entre humanismes pour progresser vers un œcuménisme planétaire.

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