Avec la rentrée, démarre pour les enfants de l’ACE la mise en œuvre de leur résolution « Explorons les beautés du monde » adoptée au printemps dernier, par leur vote qui clôturait le Grand débat des 6-15 ans.
Nous, les adultes, souhaitons, tout au long de cette année approfondir aussi la thématique des enfants en vous partageant notamment des rencontres avec des personnes qui nous disent « leurs » beautés du monde. Ainsi Doriane, jeune agricultrice ayant repris le chemin de la ferme familiale, nous raconte-t-elle son quotidien où beauté des paysages et des troupeaux se conjuguent avec sa liberté.
Doriane Mazière a 36 ans et est maman d’un petit garçon. Son métier ? Responsable d’un troupeau de vaches. Elle a fait le choix, il y a trois ans, de quitter le secteur de l’animation pour rejoindre la ferme familiale. Elle trouve dans cette responsabilité le sens qu’elle cherchait à donner à son travail. Un travail qui, de surcroît, lui permet de vivre au plus proche de la nature et de fabriquer des produits de qualité.
A.C.E. : Pourquoi avoir souhaité reprendre l’activité de cette ferme ? Qu’est-ce qui vous a motivé ? Avez-vous toujours cru que c’était une bonne chose pour vous de vous inscrire dans la continuité de votre famille en reprenant la ferme ?
Doriane Mazière : « J’ai grandi dans cette ferme ! Ma mère a pris la suite de mes grands-parents en 1995 alors que j’avais une dizaine d’années. Plus tard, j’ai fait des études dans l’animation. Cela m’a conduite à travailler comme assistante pédagogique en collège, en colonies… Puis j’ai connu une période de chômage après la fin d’un contrat dans l’animation.
Je m’étais questionnée sur les valeurs que je voulais vivre : c’était travailler dans la nature, être proche de la terre, être plus écologique, plus raisonnée, porter des valeurs humaines… Je ne voulais pas travailler dans l’industrie, je voulais quelque chose de sain à l’échelle humaine. Il y a trois ans, je suis devenue l’ouvrière agricole de mes frères, à temps plein dans la ferme familiale alors que jusque-là j’aidais seulement dans les ventes directes durant la haute saison.
Je suis revenue là où j’ai grandi. A l’époque de mes grands-parents, l’industrialisation et la technique avaient pris le dessus. Après que ma mère ait repris la ferme, et face à la chute du prix du lait, elle a souhaité rompre avec certaines façons de faire pour être davantage maîtresse de la production. Elle a cessé de vendre le lait aux laiteries pour pouvoir le transformer directement ici, à la ferme, en des produits de qualité. C’était une façon de revenir à la terre. Nous avons beaucoup de travail mais dans cet esprit, nous savons mieux pourquoi nous travaillons. C’est d’autant plus important que c’est un métier qui demande de ne pas compter ses heures… »
A.C.E : Quels sont les aspects de votre métier que vous préférez ?
D.M. : « Lorsque j’ai commencé à travailler à la ferme, je faisais tout. Mais ce que je préfère, c’est être avec les vaches, les suivre, regarder que tout aille bien, aller dans les prés… C’est toujours un bonheur d’aller caresser les vaches. J’aime également être à la vente pour être au contact des clients. C’est le moment où l’on sait que ce que l’on fait ne plait pas qu’à nous ! Les marchés nocturnes nous occupent beaucoup mais l’ambiance y est vraiment sympa ! »
A.C.E : Vous devez vous lever très tôt… Comment s’organisent vos premières heures de travail ?
D.M. : « Pas si tôt que cela ! Nous avons choisi de ne traire les vaches qu’une fois par jour plutôt que deux. Cela permet de démarrer la journée à 8h30. Cela nous permet d’assurer les marchés qui ont lieu l’après-midi ou en nocturne comme c’est souvent le cas l’été. L’intention était également de produire moins mais mieux. Mon premier travail est de nettoyer l’air où vivent les vaches et racler les sols. Rapidement, j’allume la musique ! Nous avons une playlist spéciale pour les vaches. Des scientifiques ont montré que certaines musiques et chansons permettaient aux vaches de ses relaxer. Cette playlist est un mélange de ce qu’on pourrait entendre sur Jazz Radio, Chérie FM et Radio Classique ! Ensuite, je traie les vaches. Soit le lait est mélangé ce qui permet d’assembler les qualités de chaque race, soit on fait une dérivation comme par exemple pour obtenir le lait ultra crémeux des Jerviaises qui permet de fabriquer la pana-cotta. »
A.C.E :Quels sont les différents produits issus de ces laits de vache ?
D.M. : « Nous fabriquons des yaourts, du riz au lait – un produit phare ! – du fromage blanc, un camembert baptisé « Molle du pis », une très vieille tome moulue façon Parmesan.
A.C.E : Comment se renouvelle le troupeau ?
D.M. : « Le troupeau est constitué en permanence d’une trentaine de vaches. Environ 20 vaches en traite, 5 en « nounous », 5 en congés maternité. Les vaches ont un premier bébé vers trois ans et ensuite un par an. Les vaches ont une durée de gestation proche de la nôtre ! Elles portent neuf mois, sont en congés maternité deux mois avant le vêlage. En agriculture bio, nous privilégions la prévention. Quand elles viennent de vêler, on leur masse les mamelles avec le liniment (huile d’olive et lavande) On ne leur laisse pas le veau plus de 24 heures car les vaches laitières ne peuvent pas allaiter car elles ne s’occuperaient plus que de leur veau… En revanche on nourrit les veaux avec le lait directement tiré. Ensuite, ils seront nourris avec la nourriture humide (herbe verte) ou sèche (le foin). Nous produisons du foin et l’on tourne entre différentes cultures. »
A.C.E. : Avez-vous des moments propices à admirer la nature ?
D.M. : « Je ne travaille pas dans un bureau mais dans une salle de traite ouverte sur les près et un paysage vallonné. Il n’y a pas de mur, peu de clôtures. La saison des colzas est terminée et les tournesols arrivent… Avec mon tracteur, je vais à 25 à l’heure ! Cela me donne le temps de contempler la nature. Il n’y a pas de cabine sur mon tracteur, alors je vis avec les intempéries… comme les vaches. Il pleut, je suis mouillée, il fait chaud, j’ai chaud… »
A.C.E. : Un pape, Jean-Paul II, a estimé que le travail était « subjectif », c’est-à-dire qu’il avait une dimension personnelle, quand bien même l’activité elle-même était pratiquée par de très nombreuses personnes. ? Qu’est-ce qui est propre à votre personnalité, par exemple dans la traite des vaches ?
D.M. : « Les personnes de ma famille sont très efficaces mais aussi très speed ! Et c’est plutôt utile compte tenu de la quantité de travail qu’il y a ici… Mais on ne peut pas être dans cette dynamique avec des vaches. C’est sans doute pour ma sérénité dans le temps de traite qui fait que je suis responsable du troupeau et de la traite. Il y a quelques temps encore, je travaillais dans la partie transformation. C’est ma belle-sœur qui s’occupe aujourd’hui de cela. Elle a beaucoup de talents pour développer la gamme de produits en trouvant de nouvelles idées : fromages à tartiner variés, etc. Mon frère aîné Florian est passionné de vigne et gère la partie commercialisation et communication. Mon petit frère Gaëtan assure la continuité de l’exploitation, gère les cultures, le matériel… Concernant la vente, nous y sommes tous à tour de rôle. Cela nous permet de connaître les clients, de voir que nos produits leur plaisent et que nous ne travaillons pas pour rien ! »
A.C.E : Que diriez-vous à des enfants qui s’intéressent au métier d’agriculteur ?
D.M. : « Être agriculteur aujourd’hui, c’est exercer plusieurs métiers à la fois ! Ce n’est pas seulement conduire un tracteur ou traire les vaches. C’est aussi être bricoleur pour gérer les problèmes mécaniques – qui arrivent bien souvent ! -, être commercial pour vendre les produits, être comptable et aussi chef d’entreprise… C’est surtout ne pas compter ses heures ! Les vaches demandent une présence quotidienne. On travaille en famille, avec ma mère, mon père et mes frères… C’est grâce à cela que je peux avoir des journées libres… »