Michel Damade : Expériences d’une vie plus naturelle pour des enfants

Voici un récit de Michel Damade, pédopsychiatre, qui dans le cadre des thérapies, propose à ses patients-enfants de venir accompagnés de leur famille dans son havre de paix, en pleine nature au cœur du Lot. Où l’on (ré)découvre toute l’importance d’une connexion de l’enfant à la nature et à la contemplation.


Expériences d’une vie plus naturelle pour des enfants


Voici quelques témoignages vécus qui amèneront une réflexion sur notre rôle d’adulte pour qu’un enfant goûte les joies d’une vie plus naturelle et en devienne un ardent défenseur.

Je suis un vieux « psy » d’enfants et d’adolescents, devenu, de surcroît, un papy. Avec moi, on s’exprime essentiellement à travers le jeu.

Je passe chaque été dans une vieille maison typique du Lot. Toiture à double pente, une grande cheminée : on y vit à l’ancienne, même si j’ai fait installer électricité et eau courante avec des coins toilette qui n’existaient pas à l’origine. Tout est rustique et simple avec des meubles d’autrefois. Pour les « réseaux », c’est presque une zone blanche : on n’a pas forcément de connexions tous les jours et c’est obligatoirement à l’extérieur. La maison est loin de tout : une unique voisine à plus de 600 mètres, Odile, de 10 ans plus âgée que moi, fermière à la retraite qui vit seule désormais. Sinon, c’est la nature sauvage : une grande falaise au-dessus de mon terrain, la rivière en bas entourée de quelques cultures, toutes les pentes et les rochers n’étant pas cultivables. Depuis plusieurs années, j’y reçois des enfants pour de brefs séjours de 3 à 10 jours de ressourcement en pleine nature. Un seul à la fois, en principe.

Voici une scène vécue à l’arrivée de l’un d’eux (une dizaine d’années) qui découvre la maison.

« Oh là là ça existe encore des maisons comme ça ?! Tout est vieux ! Mais il y a un ordi ? où est la Box pour Internet ? »

— Ici, tu verras, on vit très bien sans Internet. Il n’y a pas de box et pas de réseaux téléphoniques à l’intérieur.

— Mais moi, je ne peux pas passer une semaine sans mon téléphone !

— On parie ? tu n’y penseras même plus.

La vie s’est déroulée, à la fois calme et bien remplie : canoé et kayak le matin ou bien escalade (il y a des voies bien équipées sur la falaise qui domine la maison). Au retour, on pense à ramener du bois sec pour le feu :  toute la cuisine se fait au feu de bois. L’après-midi, selon les goûts, baignade en rivière ou un peu de spéléologie (il y a de nombreuses grottes faciles à explorer et je dispose du matériel nécessaire). Le soir on peut monter voir la nuit tomber, là-haut, sur le causse.

Comme la plupart des enfants, Geoffrey voudrait tout faire, sans répit, combler chaque instant, profiter de toutes les découvertes et activités possibles. Mais je propose un rythme plus calme qui tient compte de la nature. Si on va à l’escalade, ou en randonnée, c’est le matin uniquement. Il fait trop chaud ensuite. En milieu de journée, la chaleur accablante de l’été renvoyée par la falaise invite à rester dans la maison aux murs épais conçue pour rester fraiche. Un temps calme est instauré après le repas de midi. Moi, je donne l’exemple en faisant une petite sieste. Une demi-heure de jeu sur tablette est éventuellement autorisée. Geoffrey allume sa tablette, lance son jeu, mais très vite, il s’avise que, ici, la vie se déroule différemment. Il ne s’enferme pas dans l’isolement avec son jeu, il me propose plutôt de venir, pendant mon temps de sieste, me montrer à quoi et comment il joue d’habitude. Et ce sera la seule fois qu’il allumera sa tablette. L’après-midi, on est bien sur l’eau ou dans l‘eau, à moins que ce ne soit en grotte dont la découverte du monde souterrain fascine chacun.

Beaucoup de groupes de touristes descendent la rivière en canoé. Leur passage est bruyant : les jeunes crient, s’arrosent d’un canoé à l’autre et le vacarme répercuté par les falaises résonne dans la vallée. Mais nous, quand nous prenons le canoé amarré en bas, nous commençons à apprendre à pagayer convenablement pour pouvoir remonter le courant avant de le redescendre paisiblement. Lorsqu’il n’y a aucun groupe qui passe, j’invite l’enfant qui est à bord à ne pas faire de bruit. Alors seulement, on découvre les animaux de la rivière ; canards sauvages suivis de leurs canetons, héron cendré immobile à la pêche contrastant avec le vol rapide du martin-pêcheur bleu qui se saisit d’un poisson à la rapidité de l’éclair. C’est calme, c’est sauvage, c’est beau.

Le soir, avant dîner, il faut allumer le feu, fendre, au besoin, de grosses bûches en bûchettes plus fines : ça a l’air facile… quand je le fais, mais le maniement de la hachette requiert un apprentissage prudent. D’ailleurs mon petit atelier permet de s’initier au travail du bois, y compris avec un tour.

Allumer le feu dans l’âtre passionne la plupart des enfants. Chacun croit savoir faire mais ce n’est que peu à peu qu’on apprend à préparer patiemment l’allumage, avec peu de choses, pour que le feu prenne du premier coup. Ce soir, il servira à faire une omelette avec les œufs offerts par Odile et quelques champignons trouvés dans le sous-bois grâce aux pluies de la semaine dernière. Et on est bien, à la veillée, à regarder les flammes danser…

Parfois, à la nuit tombante, on grimpe vers le pied de la falaise. Un creux naturel est découpé dans le rocher et on peut s’asseoir à l’abri du froid de la nuit qui va tomber tout en contemplant le calme de la nature. Une chouette commence son chant de nuit. Avant d’aller dormir, un coup d’œil sur le ciel : saisissant ! des millions d’étoiles que l’on ne peut pas voir en ville à cause de la pollution lumineuse. Demain soir, nous monterons sur le causse pour voir la totalité du ciel zébré d’étoiles filantes en nous tenant sur le dessus d’un dolmen majestueux. Notre chemin croisera peut-être celui d’un chevreuil. Silence. Moment de contemplation après un temps de description des objets célestes et de reconnaissance de plusieurs constellations. La beauté et la majesté du cosmos nous saisissent.

Les enfants sont sensibles aux beautés de la nature. Petit échantillon des phrases entendues :

« C’est beau ! on est tellement bien, ici ! je voudrais rester plus, je n’ai pas envie de repartir demain ».

« Ce sont les plus belles vacances de toute ma vie ! ».

« Je suis venu une semaine mais l’année prochaine, je veux revenir pour tout l’été ! »…

Une maman m’a raconté que repartant en voiture avec son fils de 10 ans à la fin de leur séjour, il était tellement triste de quitter ces moments de beauté, d’harmonie et de calme qu’il s’est mis à pleurer sans pouvoir se retenir. Son chagrin fut contagieux pour la maman aussi : « Je ne pouvais plus conduire ! Nous avons dû nous arrêter un moment avant de reprendre la route ! ». Il avait cependant retrouvé son téléphone dont il avait imaginé ne pouvoir se passer et qui était tombé dans l’oubli.

L’enfant, préadolescent et jeune adolescent ne va pas d’emblée se sevrer de ses habitudes techniques et de confort. Il faut lui proposer des alternatives et surtout, surtout, être avec lui. Même pour apprendre à apprécier des moments de calme, la beauté de la nature, les charmes de la vie simple tout cela ne lui sera accessible qu’à travers de moments partagés, des instants de bonheur éprouvés ensemble. Et les silences en commun de méditation devant le feu ou le ciel sont aussi importants que les discussions sur la beauté de la nature et les questions sur la création de l’univers.

Ne profitera-t-il de ces moments heureux de vie naturelle que s’il y a présence constante de l’adulte auprès de lui ? Ce n’est pas ce que je veux dire. Oui, l’adulte est initiateur, oui, l’adulte fait goûter les beaux moments et belles choses, guide l’apprentissage parfois exigeant de gestes ancestraux ou protecteurs de l’environnement. Mais l’enfant, le jeune ado, est capable de les retrouver ensuite tout seul avec bonheur. En voici quelques exemples tirés de mon expérience :  Tel enfant dont je commençais à m’inquiéter de ne plus le voir ni l’entendre est réapparu radieux après de longs moments :

« Je suis remonté me mettre accroupi dans le creux de la falaise. Génial, j’entendais tous les oiseaux ! ». Ou encore : « Je suis allé ramasser du bois mort. Regarde comme je l’ai bien rangé ! J’ai préparé le feu ; je suis sûr qu’il prendra d’un coup. Est-ce que je peux l’allumer maintenant ? » « Je voudrais essayer de faire un tour seul en kayac. Je crois que si je ne fais pas de bruit, je verrai plein d’animaux ». Devenus militants de la défense de la planète, certains me font même le reproche de mal trier les déchets !… En revenant l’année suivante, tel ou tel ne manquera pas de demander : « On va dire bonjour à Odile ? », ayant goûté l’apport de la rencontre d’une autre génération et d’une autre culture. Et Mathis sera rayonnant de me dire qu’il a montré à ses copains lors d’une sortie scolaire comment pagayer en canoé tout en appréciant la nature : « Ils étaient scotchés ! ».

Vivre bien, vivre mieux de façon naturelle, simple… et partagée !


Michel Damade

Michel DAMADE
est né à Bordeaux le 4 juin 1944. Marié, il est père de deux enfants et grand père de deux petites-filles.
Il a fait ses études médicales à Bordeaux dans les années 60. Après un parcours en Pédiatrie, il s’est orienté vers la Psychiatrie pour privilégier un travail sur les troubles psychiques des jeunes, enfants, adolescents et jeunes adultes. Il a les qualifications de Psychiatre et Pédopsychiatre.
Responsable local dans sa paroisse à Nice du groupe « Cœurs Vaillants » avant son retour à Bordeaux en 1962, il a poursuivi tout au long du temps de ses études médicales ses engagements dans l’ACE dont il a été plusieurs années responsable Diocésain à Bordeaux.
Bien que retraité de ses activités médicales, il continue d’apporter son aide à des enfants et adolescents comme psychothérapeute et, dans des cadres associatifs, il contribue à la sensibilisation des adultes qui entourent les enfants et adolescents : parents, enseignants, animateurs, sur les besoins fondamentaux des jeunes et le rôle des adultes. Il insiste toujours sur le respect à avoir vis-à-vis des expressions des enfants et sur la place centrale du jeu dans leur développement.

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