ÉCOUTER, ENTENDRE LES ENFANTS

Savoir écouter les enfants et les adolescents, tout un art ! La psychologue Dominique Mazin-Prieur est intervenue le 23 novembre dernier lors de la formation Ecoute et relecture proposée aux responsables ACE de toute la France.

Le slogan est prégnant aujourd’hui : écoutons les enfants.

Parce que nous sommes en contact avec les enfants nous sommes amenés à les écouter. En y réfléchissant je me suis demandée pourquoi les écouter ? Quels sont nos objectifs ? Que pensons-nous leur apporter ?
Les écouter, cela signifie qu’ils parlent. Dans quelles circonstances ? Dans quel but un enfant parle-t-il ? Et comment s’exprime-t-il ?
Faut-il prendre ce que dit l’enfant pour parole d’Évangile.

Quand quelqu’un s’exprime, c’est – en général –  pour être entendu. La question va donc être : que cherche-t-il à me dire, à me confier, à me faire comprendre ?
De la même façon, pour se sentir entendu, l’enfant interpelle l’adulte.
Comment décrypter son discours ?
Le premier niveau de langage, pour tout le monde mais encore plus pour les enfants est le non-verbal.

Ecouter l'enfant - psychologie et pédagogie ACE

Le non-verbal

La parole est émotionnelle

Observation 

Un matin un enfant se montre désagréable, il asticote ses copains, leur donne des coups de pied, dit des gros mots. C’est inhabituel. C’est votre premier niveau d’écoute : le non-verbal. Bon, vous voilà bien avancé ; que faire, que dire ? Il y a des chances pour que vous lui disiez : « Arrête un peu d’embêter les autres ; mais qu’est-ce que tu as ce matin ? » Il va vous regarder innocemment et répondre : « rien ». Votre intervention risque même d’accentuer sa mauvaise humeur.

Décryptage 

Que se passe-t-il pour l’enfant ? Il ne se rend même pas compte. En fait il cherche à attirer l’attention. Et ça marche.
Que faut-il écouter, relever ? Ses bêtises ou son mal-être ?

Vous saurez très bien lui dire que vous avez entendu son mal-être. : « Ouh la la je vois que tu n’es pas content ce matin, il y a quelque chose qui t’a énervé peut-être… »
En entendant son mal-être, l’enfant va se sentir mieux :  cela va lui suffire. Vous avez fait attention à lui, C’est déjà ça.

En réalité l’apport se révèle bien plus important :
En exprimant ce que vous observez, il va comprendre que vous lui dites en réalité : « je vois, je comprends, je t’ai entendu. » Sans juger ni moraliser. En mettant des mots sur ce qu’il exprime par le non verbal l’adulte va aider l’enfant à prendre conscience de ce qu’il vit.  Un lien est fait avec son comportement et son humeur. Petit à petit il apprendra lui-même à se décrypter, comme vous y parvenez maintenant, vous les adultes.

Derrière les mots il y a le vécu de l’enfant et sa pensée se cherche. L’enfant n’a pas encore la capacité d’analyse de ses sentiments, il les vit, ne les mets pas encore à distance par les mots. Là encore, lorsque l’émotion sera passée, l’enfant donnera peut-être des explications, mais quelques jours plus tard. L’attitude compréhensive et empathique suffira à l’inciter à en parler s’il en a besoin.

Même si le non-verbal est présent toujours et pour tout le monde, il est primordial avant 12 ans.


Le verbal

La parole fait changer

— Sentiments bruts —

« Maman, j’t’aime pas, tu n’es pas belle » ; Plus tard il dira « j’te déteste »

Cela veut dire : je ne suis pas content, tu viens de me refuser quelque chose. Le prendre au mot est catastrophique : une maman qui pleure parce que l’enfant lui dit cela, est absolument incompréhensible pour lui. Cela lui fait croire qu’un sentiment est définitif : je te déteste pour la vie. Et bien non. Je te déteste tout de suite, dans le présent. Il découvre que les sentiments sont labiles, qu’il peut être en colère, puis de bonne humeur. Et cela le rassure car il en conclue que quand ses parents sont fâchés contre lui, ce n’est pas pour la vie, cela ne dure pas.

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Spontanément l’enfant parle émotionnel. Encore plus que l’adulte.
Il faut donc aller au-delà des mots. Parce que le ressenti que l’enfant exprime, c’est le début, le démarrage de sa pensée ;

« Je ne veux pas manger » ce n’est pas qu’il n’a pas faim, conclusion pourtant habituelle, c’est qu’il a quelque chose qui le préoccupe. Avant d’accepter qu’il ne mange pas, il peut être intéressant de lui exprimer que son esprit est probablement soucieux ?

En situation d’écoute, quelle réponse est la plus adéquate ?

  1. Ça n’est pas grave mon chéri, tu mangeras mieux ce soir
  2. Ah bon, mais je t’ai préparé ce que tu aimes, c’est comme ça que tu me remercie ?
  3. Ho, qu’est ce qui ne va pas ? je te sens contrarié

Les ados

Pour eux le verbal prend beaucoup d’importance. Mais il est quand même lié à leurs émotions. Ces dernières étant démesurées, les mots le deviennent aussi : ils en créent pour bien exprimer ce qu’ils ont à dire. Leurs expressions sont souvent lapidaires et ambigües. Inutile de se mettre à parler leur langage. Ils ne le demandent pas et ne le souhaitent pas ; c’est se mettre en position égale, voire complice, ce dont ils n’ont pas besoin puisque précisément ils veulent se différencier de vous.

S’exprimer change la pensée.

Hier l’enfant est rentré triste en disant « Romain c’est plus mon copain ». Et ce matin il prépare un jeu pour jouer avec lui. Votre étonnement s’exprime : « Ben je croyais que c’était plus ton copain ? »

En l’exprimant, l’enfant a relativisé sa rancœur, l’a mise à une place plus juste, et a pu voir d’autres versants de la situation et ainsi la surmonter. Il en est de même pour vous. Quand vous avez pu faire part de votre colère à une amie, votre colère n’est plus la même, vous pouvez la voir avec un peu plus de distance et mieux la gérer.

Vous avez tous remarqué qu’en disant simplement une angoisse, un souci, cette angoisse diminue considérablement ? Important pour les ados au moment du bac par exemple !

Plus l’enfant exprime son inquiétude, s’il est écouté, plus il la supporte, comme s’il en confiait une partie, comme s’il s’en débarrassait. Pas besoin de lui répondre.

Une idée exprimée n’est plus valable, elle a déjà évolué.


La pensée

La pensée se développe avec et par le langage. Nous, adultes nous savons que pour développer ou approfondir une idée il nous faut l’exprimer, « en discuter», parfois l’écrire.

La pensée se construit en s’exprimant, et chez l’enfant c’est sous nos yeux. Le développement de sa pensée est en pleine expérimentation.

Il est très important pour moi de ne pas répondre trop vite à une question posée par un enfant. Très souvent l’enfant a lui-même une réponse, il a juste besoin de la vérifier. Surtout à l’âge de ceux dont vous vous occupez. Ils entendent beaucoup (trop) de choses, ils voient tout, et ne digèrent pas bien tout.

Besoin d’évaluer sa pensée 

L’enfant se forge une idée, je peux dire même une opinion, et il a besoin de la confronter à la pensée des adultes. À une question que l’enfant pose, il est fort intéressant de chercher à comprendre ce qui l’a amené à se la poser. Lui dire par exemple : Et bien qu’est-ce que tu en penses ? L’aider à développer sa pensée, voilà un échange passionnant.

Il ne faut pas oublier qu’il est dans les apprentissages, le formatage. À l’école la parole n’est pas libre, l’enfant se demande sans cesse ce qu’on attend de lui. On ne lui apprend pas assez à PENSER, à réfléchir, à critiquer. C’est très net avec les questions sur l’écologie. Régulièrement les enfants amenés à échanger sur ce qu’il faudrait faire pour la planète, sont capables de dire : il faudrait manger plus de légumes à la cantine. Cela ne vient pas de lui.

Creuser son idée.

Vous n’avez rien à leur apprendre, vous n’avez pas de comptes à rendre. Juste à les accompagner sur le chemin de la construction de la pensée. Vous avez le temps de l’aider à développer ses idées, ses opinions.

Il n’y a pas besoin de beaucoup de règles, la même que pour tout : le respect de l’Autre.
Même les notions de Bien et de Mal sont intéressantes à lui laisser découvrir. À l’âge des vôtres, l’enfant a notion de l’Autre, il peut se projeter, et se rendre compte que si ça lui fait mal à lui, ça fait mal à l’Autre.

Toutes les valeurs que vous souhaitez lui faire découvrir, seront plus solides s’il peut les vivre et les exprimer au fur et à mesure de sa prise de conscience.

Une question qui revient en boucle demande que l’on s’y penche un peu plus. Si la réponse ne satisfait pas l’enfant, c’est que sa question est mal posée, souvent il ne sait pas la poser. Il est alors nécessaire de l’aider à creuser le sujet en le faisant parler.

Les ados eux aussi ont besoin de se faire leur opinion. Ils adhèrent à des thèses extrémistes, là encore pour développer leur pensée, alimenter leurs idées, leurs arguments. Le plus utile est alors de les inviter à développer toujours plus plutôt qu’à les contrer directement.

C’est surtout avec leurs pairs qu’ils peuvent relativiser leurs idées : ils les confrontent aux réactions des autres. Leur sensibilité et l’importance qu’ils accordent à l’amitié les rend capables de remettre en cause leurs opinions.

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